Dernier rapport du HCSP : un recul incompréhensible


 

HCSP écrase la vape

Le HCSP (Haut Conseil de la Santé Publique) a publié, le 26 novembre 2021, son deuxième avis sur le vapotage « relatif aux bénéfices-risques de la cigarette électronique ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que les conclusions sont plus que surprenantes, surtout par rapport à l’avis précédent, datant de 2016. L’avis fait 148 pages, aussi allons-nous nous concentrer sur l’essentiel.

Lien vers le rapport complet ici.

 


L’avis de 2016.

Sans revenir en détail sur l’avant-dernier rapport, il en ressortait que :

Le HCSP considérait :

– la cigarette électronique peut être considérée comme une aide au sevrage tabagique pour les populations fumeuses désireuses d’arrêter leur consommation de tabac ;
– constitue un outil de réduction des risques du tabagisme (avec une question sur les usagers concomitants de tabac et de cigarette électronique) ;
– pourrait constituer une porte d’entrée dans le tabagisme.

Le HCSP recommandait donc :

– de poursuivre et d’intensifier les politiques de lutte contre la consommation de tabac ;
– d’informer, sans en faire publicité, les professionnels de santé et les fumeurs que la cigarette électronique : est un outil d’aide à l’arrêt du tabac chez les populations désireuses de sortir du tabagisme ; apparaît être un mode de réduction des risques du tabac en usage exclusif. Les avantages et les inconvénients doivent être soulignés ;
– de maintenir les modalités d’interdictions de vente et de publicité prévues par la loi de modernisation de notre système de santé et d’étendre l’interdiction d’utilisation à tous les lieux affectés à un usage collectif.

Cinq ans plus tard, le HCSP a estimé qu’il était temps de publier une actualisation de cet avis. Ca tombe bien, pendant cinq ans, il y a eu pléthore d’études sur le sujet. Soit dit en passant, il y a déjà eu bien plus d’études concernant le vapotage que d’études sur tous les substituts pharmaceutiques réunis.

La tabagisme en France

Soyons clairs : nous ne sommes pas bons. La prévalence tabagique française est extrêmement élevée par rapport à des pays de même niveau économique. Il reste encore 25,5% de la population qui fume quotidiennement. Au total, 31,8% des français entre 18 et 75 ans sont fumeurs. Nous faisons figure de mauvais élève au sein de l’Union Européenne. Comme toujours, on constate un écart important de fumeurs selon la CSP. Les personnes à revenus modestes occupent plus d’un tiers des fumeurs quotidiens. De plus, la pandémie de COVID-19 n’a rien arrangé lors des différents confinements, même si les données lissées sur un an ne semblent pas montrer de différences notables. Cela dit, on peut constater un net recul du tabagisme juvénile en 20 ans, entre 1999 et 2018.

Le contenu du présent avis

Le rapport du HCSP se veut exhaustif ; ou du moins, le plus possible. Celui-ci développe l’état de ses recherches selon 4 question posées :

  1. Le vapotage constitue-t-il un outil d’aide au sevrage tabagique ?
  2. Existe-t-il des spécificités populationnelles en déclinaison de la question 1 ?
  3. Le vapotage peut-il constituer une porte d’entrée dans le tabagisme pour les jeunes non-fumeurs ?
  4. Existe-t-il un risque que les SEDEN engendrent une renormalisation de la consommation de tabac ?

Question 1

Le HCSP considère qu’il n’y a pas de différences significative entre vapotage et TSN en termes d’aide au sevrage tabagique mais que cela ne concorde pas avec le dernier rapport de l’Institut Cochrane. De même, l’étude de l’équipe de Peter Hajek, en 2019, montrait que la vape était plus efficace que les TSN lorsque les deux moyens de sevrage étaient accompagnés d’un soutien comportemental.

Question 2

Le HCSP développe son propos pour 6 catégories de population :

  1. Adolescents fumeurs : pas assez de données selon une étude américaine de 2020. Les risques identifiés aux USA ne sont que conjectures sans aucune preuve. Notamment concernant l’addiction à la nicotine et le passage au tabac fumé. Pour la nicotine, il semble que le mot addiction devrait être banni tant il a été démontré que la nicotine prise seule n’en est pas une. Pour le second, la question semble absurde puisque l’on parle d’adolescents déjà fumeurs. Quel risque de passer au tabac fumé lorsque l’on fume déjà à la base ? L’effet passerelle pour les jeunes expérimentant la vape a déjà été étudié et est une autre question. Cet effet reste très marginal et plusieurs études ont déjà été publiées en ce sens. Par ex : The use of e-cigarettes in adolescents: public health consequences, publiée par le Pr Dautzenberg, on constate :
    • une diminution du taux de tabagisme
    • une utilisation des e-liquides sans nicotine
    • un faible taux d’utilisation régulière chez les expérimentateurs
    • un taux d’utilisation élevé chez les fumeurs et ex-fumeurs.
  2. Fumeurs avec une maladie somatique associée à la consommation de tabac : études observationnelles à faible niveau de preuve
  3. Fumeurs avec une pathologie psychiatrique : encore une fois, manque de preuves mais des études interventionnelles montrent une tendance à une acceptabilité et une adoption de la vape chez les fumeurs atteints de maladie mentale.
  4. Patients fumeurs présentant une co-addiction : peu de données. Le HCSP cite : un protocole d’essai randomisé (incluant également des fumeurs atteints de pathologie psychiatrique), une intervention sans groupe de comparaison et un protocole d’essai.
  5. Fumeurs en situation de précarité : un essai anglais a montré que la fourniture de kits de démarrage à des SDF a été associé à des taux de recrutement et de maintien acceptables. Ce point intéresse tout particulièrement La Vape Du Cœur.
  6. Femmes enceintes fumeuses : le HCSP explique que les recommandations sont très différentes selon le pays. Ainsi, aux USA, on ne recommande aux femmes enceintes de vapoter. Pas étonnant de la part de l’Oncle Sam dont les positions prohibitionnistes sont claires depuis longtemps. En revanche, en Angleterre, c’est l’inverse. Les anglais estiment qu’il est largement préférable de cesser de fumer et pourquoi pas avec la vape, selon leurs connaissances actuelles. L’important est de sortir de la fumée de tabac.

Question 3

Le HCSP constate que les études sont contradictoires, particulièrement selon le contexte de chaque pays. Alors qu’aux USA, à faible prévalence, le vapotage semble être associé à un tabagisme ultérieur. En France, c’est le contraire. Alors, on est tenté d’y voir une corrélation avec la prévalence de chaque pays. Beaucoup de fumeurs = pas de passerelle, peu de fumeurs = passerelle. Cependant, comme le dit l’avis du HCSP, les études américaines ont montré des faiblesses méthodologique et des biais de confirmation. A la lecture du chapitre, on se rend compte que tout est dit et son contraire, selon les méthodes et les pays. Bref, le sujet est très complexe et sujet à de nombreux biais. En bref, cette question est constamment martelée, particulièrement aux USA alors que le taux de tabagisme outre-atlantique a baissé très fortement, concomitamment à l’arrivée de la vape.

On peut aussi se poser une question simple : à quel âge moyen les fumeurs débutent-ils leur consommation ? La grande majorité vous répondra : à l’adolescence. On le sait, cette période de la vie est propice aux expérimentations en tout genre et autres bravades. Dès lors, ne vaut-il pas mieux proposer un produit largement plus sain comme alternative au tabac fumé ? De plus, des études ont constaté que l’expérimentation de la vape se fait majoritairement sans nicotine avec un abandon au bout d’un temps relativement court. En gros, quand la mode est passée.

Question 4

Le HCSP détermine deux points :

  • La vape renormalise le tabac de part son mimétisme des rituels et a été conçue pour cela par l’industrie du tabac. Le rapport indique que c’est l’approche de l’OMS. Pas étonnant au vu de la politique prohibitionniste de l’OMS sur le sujet. Pour commencer, la vape n’a pas été  conçue par l’industrie du tabac. Nous pensions que c’était un fait acquis : la vape ne vient pas de l’industrie du tabac et en est indépendante à 85%, du moins en France. Les cigarettiers y sont venus plus tard pour profiter d’un marché qui existait déjà. Ce point est aussi un des arguments des associations anti-vape depuis longtemps et est une conclusion totalement biaisée.
  • La vape est une alternative plus saine à la cigarette. Dès lors, il devient intéressant de la promouvoir et de la rendre plus attractive que le tabac fumé, dans le but d’aller vers un monde sans fumée. A partir de là, que peut-on constater ? Et bien, avec les années qui passent, on constate une baisse du tabagisme significative dans tous les pays qui ont promu la vape. Même aux USA, qui pourtant se révèlent particulièrement hostiles à la vape, on a pu constater une baisse considérable du nombre de fumeur depuis de nombreuses années. La vape n’y est pas du tout étrangère.

 

Alors, quelle est la meilleure approche ? A la lecture de ce touffu rapport, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on constate beaucoup d’incertitudes et de biais possibles sur les études choisies. Une question vient à l’esprit : comment et pourquoi sont-elles choisies ?

Conclusion

Si l’on doit résumer cet avis du HCSP, cela tient en une phrase de la première recommandation de ce rapport : « Les connaissances fondées sur les preuves sont insuffisantes pour proposer les SEDEN comme aides au sevrage tabagique dans la prise en charge des fumeurs par les professionnels de santé. »

Cette conclusion vient donc en contradiction du précédent rapport de 2016 et se révèle être un message particulièrement désastreux vers les professionnels de santé. Cinq ans après, et des centaines d’études publiées depuis, on fait deux pas en arrière. Pourtant, les études tendent à converger encore et toujours vers les mêmes conclusions : la vape est un excellent moyen de sevrage tabagique et reste, à minima, 95% moins dangereuse que le tabac fumé.

En filigrane de ce rapport, la première chose que l’on constate, c’est que le HCSP demeure très attaché au processus pharmacologique standard et que, par conséquent, un produit de consommation courante ne peut (et ne doit) pas être un moyen de sevrage tabagique ; les TSN eux, ayant fait leurs preuves. Du coup, on se pose une question : si les substituts pharmaceutiques ont fait leurs preuves, pourquoi subsiste-t-il autant de fumeurs en France ? Les TSN sont remboursés par l’assurance maladie depuis 2019 à 65% et le ticket modérateur pris en charge par les mutuelles. Il n’y a plus aucun frein à ce que les fumeurs aillent voir leur médecin et reçoivent une prescription de substitution remboursée à 100%. Le problème, ce sont les résultats. Déjà, en 2009, Jean-Pol Tassin du Collège de France et des chercheurs du CNRS soulignaient que 84% des fumeurs rechutaient dans l’année qui suivait le sevrage avec TSN. C’était juste avant l’arrivée de la vape en France. On le sait depuis longtemps, la nicotine seule ne suffit pas à un sevrage réussi. Bien d’autres facteur entrent en compte. Le Pr Robert Molimard l’expliquait déjà dans les années 80. Ce sont justement ces « trous » que la vape comble en grande partie.

Parallèlement, on perçoit, encore et toujours, la chasse à la nicotine, source de tous les maux et « drogue dure » dont il faut à tout prix se débarrasser. Le HCSP ne fait toujours pas la distinction entre fumée de tabac et besoin en nicotine ? On le sait depuis longtemps, la nicotine, prise séparément n’est pas une addiction au sens propre du terme. Conclure cela est réducteur et simpliste. De plus, elle ne pose pas de problèmes de santé. Quand va t-on commencer à le comprendre ? Nicotine et caféine sont deux alcaloïdes de la même famille. Que devrait-on dire à un buveur de café ? Vous arrêtez tout de suite parce que vous êtes un drogué ? Pourquoi ne voit-on pas, sur les paquets de café : « la caféine créée une forte dépendance ».  Bien sûr, ne pas se soumettre à une [pseudo] »dépendance » à la nicotine est préférable, tant qu’à faire ; et j’insiste sur les guillemets du mot dépendance. Mais ce faisant, ce sont les fumeurs qu’on laisse sur le pavé.

Que dire alors de cet avis du HCSP ? Influence néfaste de l’OMS ou même de la commission européenne avec son rapport SCHEER ? Excès de prudence, voire de frilosité ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que cet avis va à contre-courant des conclusions de nos voisins anglais et de la Nouvelle-Zélande, beaucoup plus pragmatiques que la France. Et on ne prendra volontairement pas les USA ou le Canada comme exemple tant l’hystérie autour de la vape est en train d’y faire des ravages.

le « Haut conseil » ne dispose pas des moyens suffisants pour mener à bien ses missions et les expertises des scientifiques du HCSP sont dévoyées par les politiques (Pr François Alla)

Comme suite à cet avis pour le moins controversé, nous apprenions, par Le Quotidien Du Médecin, la démission de Pr François Alla du HSCP. Le Pr Alla était vice-président de la commission « maladies chroniques » du HCSP et chef du service de soutien méthodologique et d’innovation en prévention au CHU de Bordeaux. Dans son entretien avec LQDM, le Pr Alla déclarait : « J’ai démissionné du Haut Conseil de la santé publique car les experts n’ont pas joué leur rôle durant la crise sanitaire ». Il déclarait également qu’il considérait que le « Haut conseil » ne dispose pas des moyens suffisants pour mener à bien ses missions en jugeant que les expertises des scientifiques du HCSP sont dévoyées par les politiques. Même si le parallèle avec l’avis sur la vape serait hasardeux, les propos du Pr Alla démontrent un sérieux problème au sein du HCSP. Ceci expliquant peut-être cela. Car, quoi qu’on en dise, les problèmes soulevés par la vape semblent plus politiques et idéologiques que scientifiques et rigoureux.

 

Glossaire

  • CSP : Catégorie Socio-Professionnelle
  • TSN : Traitement par Substitution Nicotinique
  • SEDEN : systèmes électroniques de délivrance de la nicotine, nouvelle dénomination de la cigarette électronique pour le HCSP