La nicotine est-elle réellement une addiction ?


 
Molécule de nicotine

Le 9 janvier 2020, disparaissait Robert Molimard, celui que l’on considère comme le père de la tabacologie en France. En 1983, il fonde la Société d’Etude de la Dépendance tabagique et des Phénomènes comportementaux apparentés avec Gilbert Lagrue. Celle-ci devint, par la suite, la Société de tabacologie, en inventant au passage le néologisme « tabacologie ». Quatre ans plus tard, il crée un diplôme universitaire d’enseignement sur la tabacologie, une première dans le monde. Robert a conduit un certain nombres d’études consacrées à la dépendance tabagique. Ses conclusions ont lancé un pavé dans la mare dans les certitudes sur cette dépendance ; c’est le moins que l’on puisse dire. Alors la nicotine est-elle vraiment une addiction ?

 


La dépendance à la nicotine serait un mythe.

Selon le Pr Molimard, la dépendance à la nicotine, à elle toute seule, n’explique pas l’addiction au tabac fumé. Dans une étude publiée en 19891, Caroline Cohen, Jacques Le Houezec et Colette Martin sous la direction du Pr Molimard, ont mené des études sur des rats montrant que la nicotine, prise seule, ne montre pas de dépendance spécifique. Des mécanismes plus complexes sont à l’œuvre dans l’addiction au tabac fumé. La conclusion de cette étude montre que la nicotine n’est pas forcément nécessaire au maintient d’un comportement.

La dépendance est associée à de nombreux et complexes mécanismes cérébraux. Bon nombre de comportements, associés au principe de la satiété, sont commandés par le cerveau primaire et ne dépendent pas d’une réflexion logique consciente amenée, elle, par le cerveau évolué dit néo-cortex. La faim ou la soif en sont des exemples. Lorsque l’on fume, on déclenche un cycle de récompense-satiété-manque au sein d’un circuit du cerveau appelé « circuit de la récompense ». Tous les produits addictifs déclenchent ce cycle.

La nicotine seule responsable ?

Ce que l’on sait, c’est que la nicotine libère de la dopamine, un neurotransmetteur impliqué dans le déclenchement du circuit de la récompense. Il n’en fallait pas plus pour que certaines personnes sautent sur l’occasion pour diaboliser la nicotine. Le coup d’envoi fut lancé par l’Office of the Surgeon General*, en 1988, avec un rapport appelé : Nicotine Addiction. Le ton est donné. Et la conclusion appela une branche de la rhétorique moisie appelée « Non Sequitur » (qui ne suit pas les prémisses) :

  1. Le tabac crée une forte addiction
  2. La tabac contient de la nicotine, un poison neurotrope
  3. Donc la nicotine est responsable de l’addiction au tabac

Voilà le type de raisonnement qui amène, encore aujourd’hui, à penser que la nicotine est seule responsable de l’addiction tabagique. Et ce message est écrit en gros sur tous les paquets de cigarettes. Et parfois même sur des emballages de matériel de vape. Un comble ! La réalité est bien plus complexe.

Ce que l’on constate, c’est que lorsque l’on isole une molécule responsable de l’addiction à une drogue, la prise isolée de celle-ci remplacera fatalement la consommation de la source naturelle. Ex : un shoot d’héroïne est bien plus addictif que de fumer de l’opium (d’ailleurs, qui fume encore de l’opium en occident ?). De même, un toxicomane préfère sniffer de la cocaïne plutôt que de mâcher de la feuille de coca. Or, aucune substitution de consommation n’a été relevée avec des patchs, spray ou gommes nicotinées. Et ceci ne relève pas spécialement de la peur de la toxicité (très relative au demeurant) en cas de concentration élevée. Ca serait pourtant l’idéal étant donné le coût infime de la nicotine pure par rapport aux drogues habituelles. Peut-on dire que la nicotine isolée a remplacé le tabac fumé ? Non, bien sûr.

*La plus haute autorité de santé aux USA

Le rôle des goudrons

Une étude de G. Woodman, en 1987, a démontré que la quantité de fumée inhalée diminuait en augmentant le rendement en nicotine de la cigarette mais qu’elle augmentait si on augmentait le rendement en goudrons. Ce qui tendrait à démontrer que le fumeur cherche aussi quelque chose dans les goudrons.2 3 Arômes ? Autres alcaloïdes dont la pharmacologie reste mal connue ? La réponse n’a toujours pas été tranchée.

Pour rappel, les goudrons sont les principaux vecteurs des affections cancéreuses dues au tabac fumé.

Les IMAO

Les études ont démontré que la fumée de cigarette présentait ce qu’on appelle des IMAO (Inhibiteurs de la Mono-Amine Oxydase) à des doses significatives. Les IMAO sont des anti-dépresseurs bien connus. Quand on arrête de fumer, des symptômes de déprime apparaissent fréquemment. Et lorsque l’on est déprimé, on a souvent envie de fumer.

Les études menées à ce sujet ont montrées une concentration significative d’harmane amenant à penser que cette molécule peut avoir un rôle important dans l’addiction au tabac fumé. Là où ça devient intéressant, c’est que le tabac ne contient que très peu d’IMAO à l’état naturel : ce sont des produits de pyrosynthèse. Autrement dit, les IMAO sont synthétisés pendant la combustion. Les industriels du tabac ajoutent des agents sucrants dans leurs cigarettes afin de la rendre plus « acceptable » par le fumeur. On citera notamment le miel, le sucrose ou le chocolat. La combustion de ces sucres va émettre des molécules IMAO comme l’harmane, la nor-harmane ou l’acétaldéhyde, qui sont de puissants anti-dépresseurs. L’acétaldéhyde est aussi carcinogène, reprotoxique et génotoxique. Une bien gentille molécule.

On sait aujourd’hui que les IMAO potentialisent la nicotine induisant une sensibilisation de la réponse des neurones noradrénergiques et sérotoninergiques. Pris seuls, la nicotine et les IMAO n’entrent pas dans les modèles d’addiction. L’association des deux révèle, en revanche, un potentiel addictif.

Les rituels et le geste

Il faut bien sûr parler des comportement rituels. Il y a bon nombre de cigarettes qui sont associées à certains moment de la vie. Après les repas, pendant une pause, avec des moments conviviaux, etc. Ces moments, associés au plaisir induit par la nicotine, font aussi partie de la dépendance. Si l’on associe également la mise en bouche, l’inhalation et l’exhalation de la fumée, tout cela participe à un système global de dépendance. Et c’est d’ailleurs là que la e-cigarette joue un rôle important dans le sevrage. A ce niveau, on peut se dire que ces rituels introduisent des phénomènes faisant appel à des mécanismes cérébraux de plus haut niveau comme la socialisation.

Le geste aussi a son importance. Il fait partie de la dépendance comportementale. D’ailleurs, énormément de fumeurs s’en rendent compte ; comme une sorte de manie à porter ce petit cylindre à la bouche.

Ces aspects comportementaux sont appelés des renforçateurs secondaires. Pour autant, ils sont (très) importants dans la dépendance tabagique.

Les alternatives au tabac fumé.

Les solutions existent, permettant une consommation de nicotine à moindre risque (mais vraiment moindre). Outre les substituts de la pharma, il y a la vape et le snus par ex. Ces deux derniers sont particulièrement malmenés par les autorités mondiales et par l’OMS alors qu’ils ne représentent qu’une partie infime des dangers du tabac fumé. On peut citer aussi le snus blanc, une alternative au snus de tabac. Si la nicotine n’est pas un problème en soi, pourquoi faire la guerre à ces outils de réduction des risques ? Les raisons ne sont certainement pas très avouables et mettent en jeu de grosses sommes d’argent.

Là où la vape se révèle très intéressante, c’est que, non content de délivrer la nicotine, elle permet de conserver l’aspect rituel/geste. D’autre part, elle fournit le fameux « hit » ; c’est à dire le picotement et la contraction du larynx dus au passage de la nicotine en gorge. En revanche, pas d’IMAO ni de goudrons, puisque sans combustion.

Conclusion

A l’aune de ce que l’on sait aujourd’hui, dire : « la nicotine, c’est le mal ! Il faut la combattre », n’a pas de sens. On ne connait pas, aujourd’hui, tous les principes rendant le tabac fumé addictif. Ce que l’on peut dire, c’est que la nicotine, bien que n’étant pas responsable à elle seule de la dépendance, en est un renforçateur primaire. Elle n’est pas une drogue dure. Prise toute seule, la dépendance est très relative. Plusieurs travaux américains ont montré que la nicotine seule, même injectée par voie intraveineuse, était moins efficace dans l’envie de fumer que des cigarettes sans nicotine. D’autre part, les fumeurs apprécient peu les substituts oraux et cutanés.

Si l’on met de côté les conclusions pseudo-scientifiques douteuses, les dogmes mystico-religieux et la quête inextinguible de profits, il reste une molécule qui induit une certaine dépendance. Une dépendance pas plus importante que ne l’est celle à la caféine ou le chocolat. Être dépendant n’est pas grave en soi. Nous sommes dépendants à plein de choses pour lesquelles personne ne s’offusque. C’est là toute la différence qu’il y a entre une dépendance et une addiction.

Il y a des solutions pour permettre aux fumeurs de conserver cette dépendance en ôtant quasiment tous les dangers inhérents à la combustion. Les preuves que la vape et le snus représentent des avancées majeures dans la lutte contre le tabagisme s’accumulent depuis des années et des années. Et pourtant, on continue à diaboliser la nicotine, pour ces deux formes de consommation, d’une façon particulièrement simpliste. Si la nicotine est si toxique, pourquoi est-elle vendue, en pharmacie, sous une autre forme. Cherchez l’erreur.

Le danger, c’est la combustion et pas la nicotine.

Références :

1 Failure of behavioral dependence induction and oral nicotine bioavailability in rats

2 Inhaled smoke volume and puff indices with cigarettes of different tar and nicotine levels

3 The separate effects of tar and nicotine on the cigarette smoking manoeuvre

 Le phénomène de dépendance

Tabac, Comprendre la dépendance pour agir

La nicotine

L’addiction à la nicotine est un mythe avertit Pr Molimard

Nicotine-associated cues maintain nicotine-seeking behavior in rats several weeks after nicotine withdrawal